Sur les bords du canal Saint-Martin, deux mois après la spectaculaire opération de montage des tentes par les Enfants de Don Quichotte, les sans-abri sont toujours là, provoquant le mécontentement de certains riverains.
Mardi 20 février, 18h. La nuit commence à tomber sur les bords du canal Saint-Martin, où une centaine de tentes rouge, bleu ou beige sont toujours alignées. Le 8 janvier, Catherine Vautrin, ministre déléguée à la Cohésion sociale, avait pourtant annoncé la mise en place d’un plan de 70 millions d’euros. Celui-ci prévoit l’élargissement des horaires des centres d’hébergement d’urgence et 10 000 places de plus d’ici à la fin 2007 pour des logements de plus de trois mois.
Les réactions des commerçants riverains du canal sont mitigées quant à cette situation qui perdure. Si Somali, la jeune vendeuse du magasin Quai 71, estime « qu’ils ne dérangent pas », Arnaud, serveur au restaurant Chez Prune, à l’angle de la rue Beaurepaire et du Quai de Valmy, considère qu’une minorité est la cause de troubles. « Les gens qui restent sont des gens qui ont soit des problèmes cliniques, soit des problèmes d’alcoolisme ou de drogue. Certains sont durs à gérer. Dans le lot, il y en a une dizaine de durs, qui agressent les gens quand ils passent et créent une mauvaise ambiance ». Depuis la mise en place d’un service de sécurité qu’il qualifie « d’efficace », il estime que « ça va mieux ». « Tant qu’ils ne nous empêchent pas de bosser », conclut-il. A voir le monde qui se presse dans ce restaurant à l’ambiance tamisée, les sans-abri déjà bien imbibés n’empêchent effectivement pas les Parisiens de sortir.
De l’autre côté du canal, le gérant du salon de coiffure Rock-Air Cut est plus agacé. « C’est gonflant. Ils sont bourrés tous les jours. Parfois ils se battent, et j’en ai alors un qui vient me demander de l’eau ». Montrant le petit pont qui enjambe le canal, il poursuit : « Lui là-bas, il a deux chiens, alors il ne veut pas aller en appartement. Ce sont des paumés, il faut leur réapprendre à bosser. Et puis tout ça, c’est du cinoche pour moi. Toutes les tentes n’étaient occupées qu’à 5% au plus fort de la crise ».
Jacques Deroo, président du collectif Salauds de pauvres, explique que « ce sont des personnes qui ont passé un nombre incalculable d’années dans la rue, on ne peut pas les reloger comme ça. Ce sont des personnes très déstabilisées qu’il faut prendre en charge. Beaucoup ne veulent pas retourner en centre d’hébergement », ajoute-t-il, rejoignant ainsi le point de vue d’Arno Klarsfeld, dans son rapport remis à Nicolas Sarkozy. L’avocat parisien, nommé médiateur par le ministre de l’Intérieur en décembre dernier pour résoudre la crise des tentes du canal Saint-Martin, préconise « l’ouverture de centres à taille humaine, de 30 à 50 places », qui tiennent mieux compte de la très grande diversité et des véritables difficultés des sans-abri. Il y énumère les raisons du refus des sans-abri de se rendre dans les centres d’hébergement actuellement existant : la promiscuité, le mauvais sommeil ou le réveil à heure fixe.
Une idée reprise par Jacques Deroo, qui monte à Ivry une structure communautaire mieux adaptée aux sans-abri. « Le gouvernement voudrait résoudre le problème tout de suite et il ne peut pas. Je travaille dans l’urgence, et ces personnes sont dans l’attente ». Il demande surtout à l’État des moyens. « La situation est très complexe. L’État peut donner les moyens, mais ne peut pas faire le travail à la place des travailleurs sociaux. Même avec les moyens, cela ne veut pas dire que l’on va tout résoudre ».
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