jeudi 29 mars 2007

Sorj, combattant de la plume

Vendredi 2 février. 15h30. Sorj Chalandon vient de quitter Libération. Après trente années passées au quotidien. Sans pot de départ. Sans même prévenir le standard. Il est parti par fidélité. Fidélité depuis toujours à ses engagements. A son chef, Serge July. « Le baron Rothschild veut une vraie rupture avec l’époque July. Sans moi. July était mon chef. Je suis un soldat, on licencie mes généraux, je m’en vais ».

Mais il s’en va aussi parce qu’il ne supporte pas les changements d’une presse qui va mal. « Le quotidien national d’information tel qu’il existe est appelé à disparaître. On appartient à un monde mort. Je ne me suis pas battu toute ma vie pour être payé par la publicité. Ce qui est en train de se passer ne me convient pas. C’est très difficile, mais c’est mon choix ».

Issu d’un milieu modeste, une mère employée de bureau et un père sans emploi après une blessure lors de la deuxième guerre mondiale, Sorj s’est engagé très tôt dans la lutte. Il adhère au mouvement d’extrême-gauche, d’essence maoïste, la Gauche prolétarienne. Première rencontre avec Serge July. Il côtoie les militants de la branche clandestine, La nouvelle résistance populaire, responsable de l’enlèvement de l’un des patrons de Renault. Pour ces « vrais communistes », comme il se définissent eux-mêmes, rien ne peut se faire sans l’action. Ils veulent l’insurrection armée. Alors étudiant en histoire, Sorj quitte l’université et devient ouvrier à l’usine chimique Rhodia Seita à Vayze. Mais 1972 sonne comme un tournant. Pierre Overney, ouvrier chez Renault, est tué par un vigile, alors qu’il distribuait des tracts pour une manifestation anti-racisme. En septembre, le commando Septembre noir prend en otage la délégation israélienne lors des Jeux Olympiques de Munich. Ces deux évènements lui font prendre conscience que le terrorisme ne mène à rien, que la lutte armée conduit à l’impasse. « La masse ne nous suivait pas ». Ces combattants contre la classe dominante se retrouvent « orphelins d’idéologie ».

Serge July décide alors de fonder le journal Libération en février 1973. Sorj le rejoint en septembre, comme dessinateur et monteur de page à la fabrication. Il a 21 ans. La même année, il part en Syrie, où il couvre, monté sur le premier char des forces syriennes, l’entrée dans la ville de Kuneitra reprise à Israël. Il vient de faire ses preuves, et devient reporter au service informations générales. Il y traite d’affaires de police et de justice. Olivier Bertrand, qui a travaillé avec lui dans le même service, se souvient d’un homme particulièrement sensible aux autres : « De tous les journalistes de Libération, Sorj est l’un des plus attentifs aux gens. Il a une vraie attention humaine, ce qui paraît assez rare pour quelqu’un qui est dans la même entreprise depuis trente ans ».

En 1980, il rejoint le service « monde ». En 1981, le président égyptien Anouar el-Sadate est assassiné au Caire. Sorj est disponible, et part. Sa carrière de grand reporter est lancée. Pendant vingt ans, il va couvrir tous les conflits qui secouent la planète : le Liban, l’Iran, l’Irak, la Somalie, l’Afghanistan, le conflit nord-irlandais. « Il n’y a pas d’école de grand reporter. Tu es grand reporter dans l’usage que tu fais de la chance que l’on te donne. J’ai eu la chance d’être choisi et d’avoir la confiance de mon journal. La rédaction pouvait compter sur mon écriture, ma disponibilité et mon envie de me confronter au pire : la guerre ».

En 1988, il reçoit le Prix Albert Londres, et rejoint ainsi le panthéon des grands reporters distingués par ce prix. « Le paradoxe, c’est que j’ai eu ce prix pour le procès de Klaus Barbie, qui se déroulait à deux heures de Paris ».

Et demain ? « Je suis trop étiqueté Libé, trop emblématique de ce journal, j’ai eu le Prix Albert Londres, c’est trop lourd ». Sans illusion, il est passé à l’écriture, pour combler un manque. Journaliste le jour, il devient écrivain quand la nuit tombe. En 2006, il reçoit le Prix Médicis pour son deuxième roman, Une promesse. « J’écris ce qui me manque la nuit, ce qui manque au journaliste et à l’homme : le respect, l’écoute, la fraternité. Écrire la nuit donne une écriture différente, particulièrement apaisée. Cela me permet d’inventer un autre monde. Je suis entré en journalisme pour lutter, dans l’écriture romanesque pour rêver ». Il vient de signer son contrat pour ses deux prochains romans. De quoi occuper ses prochaines nuits. Il lui reste à combler ses jours.

vendredi 9 mars 2007

« On ne va pas tout résoudre »

Sur les bords du canal Saint-Martin, deux mois après la spectaculaire opération de montage des tentes par les Enfants de Don Quichotte, les sans-abri sont toujours là, provoquant le mécontentement de certains riverains.

Mardi 20 février, 18h. La nuit commence à tomber sur les bords du canal Saint-Martin, où une centaine de tentes rouge, bleu ou beige sont toujours alignées. Le 8 janvier, Catherine Vautrin, ministre déléguée à la Cohésion sociale, avait pourtant annoncé la mise en place d’un plan de 70 millions d’euros. Celui-ci prévoit l’élargissement des horaires des centres d’hébergement d’urgence et 10 000 places de plus d’ici à la fin 2007 pour des logements de plus de trois mois.

Les réactions des commerçants riverains du canal sont mitigées quant à cette situation qui perdure. Si Somali, la jeune vendeuse du magasin Quai 71, estime « qu’ils ne dérangent pas », Arnaud, serveur au restaurant Chez Prune, à l’angle de la rue Beaurepaire et du Quai de Valmy, considère qu’une minorité est la cause de troubles. « Les gens qui restent sont des gens qui ont soit des problèmes cliniques, soit des problèmes d’alcoolisme ou de drogue. Certains sont durs à gérer. Dans le lot, il y en a une dizaine de durs, qui agressent les gens quand ils passent et créent une mauvaise ambiance ». Depuis la mise en place d’un service de sécurité qu’il qualifie « d’efficace », il estime que « ça va mieux ». « Tant qu’ils ne nous empêchent pas de bosser », conclut-il. A voir le monde qui se presse dans ce restaurant à l’ambiance tamisée, les sans-abri déjà bien imbibés n’empêchent effectivement pas les Parisiens de sortir.

De l’autre côté du canal, le gérant du salon de coiffure Rock-Air Cut est plus agacé. « C’est gonflant. Ils sont bourrés tous les jours. Parfois ils se battent, et j’en ai alors un qui vient me demander de l’eau ». Montrant le petit pont qui enjambe le canal, il poursuit : « Lui là-bas, il a deux chiens, alors il ne veut pas aller en appartement. Ce sont des paumés, il faut leur réapprendre à bosser. Et puis tout ça, c’est du cinoche pour moi. Toutes les tentes n’étaient occupées qu’à 5% au plus fort de la crise ».

Jacques Deroo, président du collectif Salauds de pauvres, explique que « ce sont des personnes qui ont passé un nombre incalculable d’années dans la rue, on ne peut pas les reloger comme ça. Ce sont des personnes très déstabilisées qu’il faut prendre en charge. Beaucoup ne veulent pas retourner en centre d’hébergement », ajoute-t-il, rejoignant ainsi le point de vue d’Arno Klarsfeld, dans son rapport remis à Nicolas Sarkozy. L’avocat parisien, nommé médiateur par le ministre de l’Intérieur en décembre dernier pour résoudre la crise des tentes du canal Saint-Martin, préconise « l’ouverture de centres à taille humaine, de 30 à 50 places », qui tiennent mieux compte de la très grande diversité et des véritables difficultés des sans-abri. Il y énumère les raisons du refus des sans-abri de se rendre dans les centres d’hébergement actuellement existant : la promiscuité, le mauvais sommeil ou le réveil à heure fixe.

Une idée reprise par Jacques Deroo, qui monte à Ivry une structure communautaire mieux adaptée aux sans-abri. « Le gouvernement voudrait résoudre le problème tout de suite et il ne peut pas. Je travaille dans l’urgence, et ces personnes sont dans l’attente ». Il demande surtout à l’État des moyens. « La situation est très complexe. L’État peut donner les moyens, mais ne peut pas faire le travail à la place des travailleurs sociaux. Même avec les moyens, cela ne veut pas dire que l’on va tout résoudre ».

mercredi 7 mars 2007

François Bayrou se dévoile aux internautes

Trois couleurs : bleu, orange et blanc. C’est ainsi que se décline le blog de Bayrou. Du bleu pour les titres, de l’orange pour la colonne interactive à droite de la page, le tout sur fond blanc. La couleur, qui est celle du blog officiel de l’UDF, se veut celle de la révolution orange, à l’instar de la révolution orange qui avait accompagné l’élection du président ukrainien l’année dernière.
Le site se veut surtout interactif : du texte, de la vidéo, et de nombreux commentaires de partisans qui expliquent leur choix de voter Bayrou. Du dernier reportage du candidat centriste à Toulouse auprès des salariés d’Airbus, sa position sur la dette en France ou le modèle d’exploitation familiale français, les positions officielles du candidat centriste sont bien sûr présentes sur ce site. Plus insolite, c’est aussi le candidat dans son intimité que l’on découvre. « François Bayrou sous le signe de l’amour », long article qui a suivi la diffusion de son portrait dans l’émission d’Envoyé spécial où l’on découvre un Bayrou dans ses relations familiales et professionnelles ; des vidéos où il parle de ses auteurs préférés et des personnalités qui l’ont marqué tout au long de son parcours politique, ce blog est entièrement destiné à nous faire mieux connaître qui est François Bayrou. Une sélection des meilleurs clichés du candidat - sur un bateau de pêche, à la montagne ou lors d’un meeting, est aussi visible sur son blog.
Autre innovation, certaines de ces vidéos sont doublés pour les malentendants. Il pense à tout le candidat Bayrou. Et parce qu’un vrai supporter ne saurait partir en campagne sans son kit complet d’affichage, on peut aussi y télécharger des tracts et autres affiches au slogan du président de l’UDF. Et placer les liens de ces vidéos sur son propre site. Toute la panoplie du vrai supporter du candidat centriste.
Enfin, pour ne pas perdre le contact, on peut suivre tous les déplacements du candidat, grâce à l’agenda proposé en fin de page, ainsi qu’une revue de presse des apparitions et interviews de François Bayrou dans les médias. Et ça marche. De nombreux commentaires, souvent élogieux mais surtout passionnés, accompagnent chacun des articles. On y trouve même une revue de commentaires.
http://www.bayrou.fr/ le blog du candidat centriste à ses fans.

vendredi 23 février 2007

Les Frigos, chambres froides de la création

Ilots culturels au milieu de grues et de bâtiments en verre, les Frigos sont un havre de paix artistique au cœur d’un quartier en plein travaux. Une sorte de no man’s land de la créativité. Dans le nouveau quartier de Paris rive gauche qui sort lentement de terre, les quelques 200 artistes qui ont élus résidence aux Frigos entendent bien résister pour garder leur outil de travail.

On entre aux Frigos par l’escalier B. Un escalier en colimaçon, tout en ciment. Dans la tour qui de l’extérieur ressemble à un château d’eau. Les murs sont gravés de tags, de toutes les couleurs. Du bleu, du rouge, du noir, du jaune, du vert. Les couleurs s’enchevêtrent pour ne former par endroit qu’un gribouillis illisible. Les murs de certains étages sont aussi recouverts de graphs. D’autres le sont de tracts. Ici, c’est une affiche de théâtre pour une pièce d’Edward Bond. Là, c’est une bande dessinée du super-héros Spiderman. Plus loin, un autre tract appelle à lutter contre la faim en Afrique. Au cinquième étage, les murs sont restés gris, de la couleur du béton. Encore vierges du pinceau de l’artiste inspiré.

Derrière les lourdes portes massives se cachent d’anciennes chambres frigorifiques. Ces chambres qui désormais fourmillent d’activités artistiques et créatrices. Après la Première Guerre mondiale, la compagnie ferroviaire de Paris-Orléans entreprend la construction des Frigos afin d’approvisionner les Halles en produits frais. A la fin des années 1960, les Halles partent s’installer à Rungis, les Frigos sont laissés à l’abandon. En 1980, des artistes investissent les lieux, après que la SNCF, propriétaire des locaux, autorise la location d’un premier lot de surfaces.

Aujourd’hui, environ 200 artistes ont leur atelier aux Frigos. Parmi eux, quelques artistes célèbres, tels l’architecte Paolo Calia, qui fut décorateur sur les films de Fellini. On y trouve des ateliers de couture, de théâtre, de peinture, de sculpture, des studios d’enregistrement et même un cabinet d’architecture.

Sacha est artiste peintre et décorateur. Son atelier se trouve au quatrième étage, l’avant-dernière pièce au bout du couloir. Aux sons de la musique latino qui s’échappent de son poste de radio, il mélange la couleur pour sa nouvelle toile. « Je suis ravi de toute cette évolution. Le quartier devient magnifique. J’aime bien l’idée qu’il y ait des bureaux, ils amènent des magasins, des restaurants, des pharmacies. Ils appellent la vie. Ce qui m’emmerderait, c’est qu’on nous vire. Là, ce serait détruire ».

Car les artistes craignent pour l’avenir des Frigos. Sur la façade ouest de l’immeuble, une grande banderole est affichée. « Sur le terrain mitoyen, encore des bureaux. Concertation tronquée, gâchis économique. Où va la ville ? ». Elle est signée de l’APLD 91, association pour le développement du 91 quai de la gare dans l'est parisien. Cette association organise chaque année des portes ouvertes pour faire découvrir les Frigos et le travail des artistes. Elle rappelle que les Frigos ont échappé à la destruction grâce à la mobilisation des artistes, l’association des locataires et le soutien des autres habitants historiques du quartier.

« Nous menons un combat depuis dix ans. Nous ne voulons pas de bâtiment à quelques mètres de nos fenêtres, nous n’aurions plus la lumière du jour. Nous aurions aimé qu’il y ait moins de bureaux. Les façades des immeubles sont toutes vertes, grises ou noires. C’est moche, surtout les jours de pluie. On défend notre outil de travail. On aimerait bien ne pas être étouffé par tous ces bureaux ». Marianne Nicotra, artiste indépendante, donne des cours de couture à une dizaine de femmes venues de Paris et de banlieue. Elle est installée aux Frigos depuis 1981.

Stéphanie Bainville, elle, est plus inquiète. Elle occupe la pièce attenante à celle de Marianne. Trois jours par semaine, elle donne des cours de théâtre à des enseignants, venus travailler sur la transmission. Elle leur dispense des exercices sur la voix ou le corps. « Ça devient moderne, mais je suis très inquiète par ce qu’il va se passer ici. Je pense qu’ils vont faire sauter les Frigos », lâche-t-elle dans un soupir.

Car de l’extérieur, le contraste est bien réel. Les Frigos, qui ont gardé leur forme d’origine, ressemblent à cette friche industrielle dénoncée par les promoteurs immobiliers, avides de le détruire pour y construire un nouvel immeuble. Les artistes aiment ce lieu qu’ils ont rénové, repeint, dont ils ont percé les murs et aménagé les cloisons. Ils aimeraient qu’il soit réhabilité, à l’image des Grands Moulins tout proches. « Regardez ce qu’ils ont fait aux Grands Moulins. C’est magnifique. Mais c’est un monument classé », s’exclame Sacha.

En attendant de connaître leur sort, les artistes continuent à créer, et entendent bien profiter de ces nouveaux aménagements. « Je suis très contente. Les conditions se sont améliorées. Il y a plus de moyens de transport, une pharmacie et un Monoprix. Il manque un peu de couleurs à tous ces immeubles » conclut Marianne.

Le renouveau du franc

Depuis cinq ans, le 17 février, une centaine de personnes défile aux flambeaux à Paris pour réclamer le retour du franc. Au chant de la Marseillaise et à grands renforts de drapeaux français, nationalistes et souverainistes réclament l’indépendance de la France et la sortie de la zone euro.

« Ridicule. Bouh ». Du haut de sa fenêtre du 5e étage, un homme hue la procession qui défile en bas de la rue. Environ deux cents personnes, des flambeaux à la main, tiennent des drapeaux français et deux grandes banderoles « euro, monnaie d’escrocs ». Ils défilent pour demander le retour du franc.

Ils sont partis du Bon Marché. Ils empruntent le boulevard Raspail, la rue de Sèvres, continuent par la rue du Four, la rue de Buci, et enfin s’engagent dans la rue de Seine, avant d’arriver à l’Institut de France, dernière étape de leur parcours. Ils arpentent les rues de la capitale, sous escorte policière, qui n’hésite pas à bloquer la circulation du boulevard Saint-Germain pour les laisser passer. En tête du cortège, la semeuse, ornée de l’inscription « République française », ouvre la marche. Deux hommes portent un brancard avec une reproduction d’une pièce de un franc. Au milieu, beaucoup de jeunes d’une vingtaine d’années, de personnes d’un certain âge, une ou deux poussettes.

Les manifestants entonnent la Marseillaise à plusieurs reprises, entre deux exhortations pour le retour au franc. Une manifestation nationaliste, ce qu’assume le renouveau français, l’une des associations organisatrices. « Souverainiste », rectifie Dominique Mahé, qui roule une affiche pour le candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. « Je ne suis pas fondamentalement pour un retour du franc, sauf si la situation économique s’aggravait. Mais je constate que le pouvoir d’achat a diminué de 30 % depuis l’introduction de la monnaie européenne. Je tiens une petite entreprise de papeterie, et je le vois tous les jours auprès de mes clients. D’un point de vue technique, la mise en place de l’euro a coûté cher. Les magasins ont dû faire un double affichage, il a fallu remplacer toutes les caisses enregistreuses ».

Dans les rues branchées du quartier Saint-Germain ce samedi soir, cette marche a quelque chose d’anachronique. Un décalage entre un quartier « bobo et gauchiste » selon Dominique, et cette manifestation aux flambeaux, à contre-courant, où le chant de la Marseillaise s’élève au milieu des slogans « le franc aux Français ». Il est 19h, et de nombreux clients sont attablés dans les cafés et restaurants de cette rue animée. Ils regardent le défilé. Beaucoup sont surpris. Quelques passants s’arrêtent et regardent. S’avancent pour prendre les tracts distribués par les organisateurs. Certains les insultent. Au bar La Palabre, à l’angle de la rue de Seine et de la rue de Buci, des personnes attablées entament une discussion avec les manifestants.

Xavier Grange milite au sein de l’alliance pour la résistance nationale, l’autre association organisatrice. « Je suis clairement anti-européen et hostile à la construction européenne. L’ensemble de la zone euro fonctionne très mal. Les pays n’ont pas de structures économiques proches. L’Angleterre, la France et l’Italie ont des économies trop divergentes pour faire partie d’une zone monétaire optimale. Il n’y a jamais eu autant de délocalisations depuis que l’euro est devenue la monnaie unique ».

Pour Benjamin, 19 ans, étudiant en BTS de comptabilité gestion à Bordeaux, sa présence à cette manifestation va bien au-delà de la simple question économique posée par l’euro. « Je suis pour le retour au franc et la suppression de l’euro, symbole qui réduit notre souveraineté nationale et la liberté de la France. Je suis contre l’impérialisme supra-national qu’est l’Europe. La monnaie, au même titre que la langue et la culture, fait partie de notre identité. Je rejette tout ce qui tend à réduire notre identité. Six lois sur dix sont d’origine européenne ».

En cinq ans, le nombre de manifestants a augmenté. « En 2002, nous étions 27. Quand je distribuais les tracts, je me faisais littéralement insulter. Nous étions dans le déni total. Depuis deux ans, il y a une évolution, les gens s’y intéressent. Ils sont surpris et notre démarche les interpelle », commente Xavier.

Le défilé atteint la place de l’Institut de France. La manifestation a été courte, à peine une demi-heure. Dès 18 heures, quelques personnes étaient rassemblées devant le Bon Marché. Des jeunes skin-heads sont venus s’affronter, devant la police. Les pompiers sont arrivés peu après. On les retrouvait dans la manifestation, crânes rasés et une écharpe cachant le bas de leur visage.

La Renault 19 bleue de la police file. Les huit porteurs de drapeaux et de banderoles montent sur les marches de l’Institut pour la photo finale. Sous les lumières de la nuit, devant les colonnes de l’Institut, l’image a quelque chose de théâtral. « Terminer sur l’esplanade de l’Institut donne une certaine allure. La manifestation aux flambeaux donne du cachet, on essaie de mettre un minimum de décorum avec notre peu de moyens », commente Xavier Grange. Après les discours appelant à la liberté de la France, ils entament une dernière Marseillaise, replient les drapeaux et se dispersent dans la nuit parisienne. Et se donnent rendez-vous pour le 17 février 2008.

Des planches à l’écrit

Jolie brune aux yeux bleus, Isabella Monnier-Leland a longtemps mis en avant son côté sérieux, grâce à un parcours scolaire réussi qui l’a mené jusqu’en master de journalisme à Paris 3. Sous son beau minois à la Audrey Hepburn, dont elle est une inconditionnelle, cette franco-américaine de 20 ans cache pourtant une véritable passion pour le cinéma.

Une passion qui lui a donné envie très jeune de faire du spectacle. Isabella a participé à des castings et même joué dans un court-métrage. Elle reconnaît pourtant qu’elle ne « se lance pas à fond », préférant privilégier les études. « C’est un milieu où il faut se débrouiller par soi-même, se faire remarquer, or pour l’instant, je ne fais pas ce qu’il faut pour ».

Consciente de la difficulté de percer dans le monde du cinéma, où « les gens sont pris plus sur leur physique que sur leur talent », et que le cinéma qu’elle aime « n’existe plus », Isabella a donc poursuivi ses études avec assiduité, « par goût et non par défaut » tient-elle à préciser. Et si elle ne peut être actrice, elle sera journaliste. « J’aimerai travailler dans un magazine féminin. C’est un milieu très ouvert, qui me résume bien car il allie à la fois de traiter de sujets sérieux, tels que la condition de la femme en Afrique, et d’articles sur la mode ou la cinéma ». Et qui lui permettrait de s’épanouir tout en restant dans le milieu artistique.

Ce qui ne l’empêche pas de cultiver sa passion tous les mercredis soirs, où elle file à sa répétition de théâtre dès la sortie des cours.

« Internet place les journalistes sous surveillance »

Pascal Froissart, chercheur associé au laboratoire communication et politique du CNRS, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris VIII - Vincennes Saint-Denis.

La SCI du couple Hollande-Royal a été divulguée sur un blog. Cela pose la question de la crédibilité d’Internet. Faut-il croire Internet ?

Internet est indissociable des autres médias. De même que l’on ne peut pas dire que la radio a moins de pouvoir que la télévision, Internet n’a pas moins de pouvoir que les autres médias. Il fait l’actualité au même titre que les autres médias. Nous sommes dans un monde où les médias sont interconnectés. Ce blog serait resté anonyme si un député n’avait pas repris cette information et ne l’avait pas instrumentalisée. Si un citoyen lambda publie un super scoop, s’il n’est pas repris par une autorité, ce scoop n’a aucun effet. S’il n’y avait pas une élection, ce genre d’information passerait à la trappe. Dans le dispositif légal, on ne publie pas le patrimoine des candidats. C’est indécent.

Est-ce que cette affaire ne décrédibilise pas les médias, qui se sont contentés de reprendre l’information sans la vérifier ?

Internet change les données, la pratique du journaliste mais ne décrédibilise pas les autres médias. Il place les journalistes sous surveillance. La diffusion en est simplement facilitée grâce à Internet.

Quel est le rôle d’Internet dans l’actualité ? N’a-t-il pas une influence croissante sur les autres médias ?

Internet n’a pas un rôle particulier dans l’histoire. D’autant plus que dans cette affaire, il n’y pas eu un gros travail de journaliste. Internet est un support à l’actualité. Réussir à passer cela comme une information, c’est magistral. Les journalistes n’ont pas vérifié qui est l’auteur du site. En-dehors de la campagne, cette information ne passerait pas. C’est « l’effet de réel » dont parle le sociologue Pierre Bourdieu. On est en train de créer une réalité qui n’a pas d’importance. Est-ce que Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy vont faire un bon président ? C’est ça la question. C’est tragique, les journalistes se croient tout puissants. Quant à son influence, je parlerai d’un système croisé : la presse surveille Internet et Internet surveille la presse. Sur Internet, on trouve beaucoup d’articles copyrightés de journaux.

Quelle est la légitimité de l’information délivrée sur Internet ?

Selon l’étude médiamétrie, les sites d’information les plus consultés sur Internet sont TF1, Le Monde, Le Figaro. On retrouve les médias traditionnels. Les gens vont s’informer sur Internet sur les mêmes sites que dans la vraie vie. Internet est extrêmement structuré, il est difficile d’échapper à l’emprise du Monde, du Figaro ou de TF1.

N’importe qui peut ouvrir un site sur Internet et se déclarer expert dans un domaine. Comment établit-on la légitimité de l’information sur Internet ?

On établit la vérité sur Internet grâce à des signes extérieurs : on affiche la source, l’affiliation (le logo du CNRS par exemple), on travaille la cohérence de l’écriture et la mise en page.

Internet est-il un contre-pouvoir ?

Non. Les dix premières audiences sur Internet sont neuf entreprises, dont huit sont cotées en bourse et six sont américaines.

[1] Société civile immobilière